Enfance

Le long du Temps il se tenait sous le soleil de la colline,

…Au-dessus de la maison, dans la sérénité du père.

Très loin, la rumeur changeante, indistincte ne menaçait pas

…Ni ses îles noires dans l’épaisse distance.

Il pouvait voir chaque cime, chaque nuance vague,

…Où les îles amassées roulaient dans la brume étrangère,

Et même si toutes couraient vers son regard

…Il savait qu’elles celaient d’invisibles détroits.

Souvent il se demandait quelles rives nouvelles il y découvrirait.

…En pensée il voyait la tendre lumière du sable,

L’eau claire sans profondeur dans l’air calme,

…Et il la traversait, joyeux, de grève en grève.

Au-dessus de la rumeur un navire très lent pouvait passer

…Qui semblait s’enfoncer dans la colline au crépuscule.

Le soir, la rumeur était douce comme un verre trop plein,

…Et le Temps semblait finir avant que le navire disparaisse.

De petits rocs grisâtres dormaient tout autour de lui,

…Immobiles comme eux, de plus en plus calmes avec le soir,

Les herbes renvoyaient de hautes ombres au loin,

…Et de la maison sa mère criait son nom.

Edwin Muir

AU BAS DES JARDINS DE SABLES

Au bas des jardins de sables je t’ai rencontrée, mon amour.
Tu passais les jardins de saules d’un pied qui est comme neige.
Tu me dis de prendre l’amour simplement, ainsi que poussent les feuilles,
Mais moi j’étais jeune et fou et n’ai pas voulu te comprendre.

Dans un champs près de la rivière nous nous sommes tenus, mon amour,
Et sur mon épaule penchée tu posas ta main qui est comme neige.
Tu me dis de prendre la vie simplement, comme l’herbe pousse sur la levée,
Mais moi j’étais jeune et fou et depuis lors je te pleure.

William Butler Yeats

J’aime mieux me souvenir d’un Couchant
Que jouir d’une Aurore
Bien que l’un soit superbe oubli
Et l’autre réel.

Car il y a dans le départ un Drame
Que rester ne peut offrir –
Mourir divinement en une fois le soir –
Est plus aisé que décliner –

Emily Dickinson

PAUVRETÉ COMME LE SOIR

Revient pauvre en amour l’herbe
dans le souvenir et le soir elle
n’apporte que cette odeur du
printemps mort,

ces prés frais au voile de la
course, qui dans les yeux des
enfants est presque le ciel, ce
rêve qu’en secret

tu libères, sans le toucher,
comme l’air de tes collines.
Tu restes pure si joyeuse de tristesse
et d’air, ayant voulu

la pauvreté comme le soir pour te
dénuder jusqu’au visage,
jusqu’aux yeux où désespère
cette lumière, je t’écoute

vide aux confins du ciel,
ample et rose dans la clameur
comme une nuée qui revient à son gel,
errante, et se repose.

Tu restes pauvre en oubli
le long du pré qui à son mur
de bleu blanchit ; adieu,
à te quitter même l’avenir,

voix sans mémoire, devient nuit.

Alfonso Gatto

Contes

en une seule nuit

je suis restée devant ta porte.

sans mesure aucune je t’ai aimé totalement

j’ai dirigé vers toi les étoiles des rues dorées

et bienheureuse j’ai ri silencieusement.

Comme si pour mes cheveux disparus je levais les bras

branches minces et rondes.

Dans le silence de la nuit de mai la pluie a surgi

et interpella les fleurs hésitantes des branches,

chacune était une bouche livide.

Mais toi tu ne vins pas

et j’ai éparpillé en gâchis souriant

les fleurs à la lune.

Et j’ai ressenti tumultes plus amers, forces sombres,

les fruits me furent bien plus doux, plus sucré le jus.

Ainsi ils tombaient, odorants, doux et lourds.

Mais toi tu ne vins pas

Des grêlons dansaient en se moquant sur les pierres.

Alors un puits noir s’ouvrit béant.

Dedans je laissais pendrent les bras brisés –

En fleurs et ayant porté des fruits – et révolus

en une seule nuit.

Revenue à la table des matières.

Gertrud Kolmar

Sens de son absence

si moi j’ose
regarder et dire
c’est par son ombre
unie si douce
à mon nom
là-bas loin
dans la pluie
dans ma mémoire
par son visage
qui brûle dans mon poème
et répand magiquement
un parfum

Alejandra Pizarnik

 

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La consolation des étoiles

 

J’ai demandé cette nuit à une étoile
– lumière lointaine dans l’espace inhabité – :
“Pour qui brilles-tu, étoile inconnue?
Tu es si claire et belle.”

 

Son regard d’étoile,
a fait taire ma plainte:
“Je brille pour une nuit éternelle.
Je brille pour un espace sans vie.

 

Ma lumière est une fleur qui se fane
à l’automne tardif de l’univers.
Cette lumière est toute ma consolation.
Cette lumière suffit à ma consolation.”

 

Karin Boye

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Ode sur la mélancolie

Non, non, ne va pas boire au Léthé, ne va pas boire

Le vin empoisonné de l’aconit aux rudes racines ;

N’accepte pas que ton front pâle reçoive le baiser

De la belladone, vermeil raisin de Proserpine ;

Ne fais pas ton rosaire des grains de l’if ;

Ne laisse pas le scarabée, ni la phalène devenir

Ta Psyché de deuil, ni le hibou duveteux

Le compagnon des mystères de la Mélancolie ;

Car l’ombre rejoindrait la torpeur des ombres

Et noierait l’angoisse vigilante de l’âme.

Mais quand s’abattra la Mélancolie,

Soudaine messagère des Cieux, nuage de larmes,

Qui abreuve les fleurs aux têtes tombantes,

Et cache la verte colline sous un linceul d’Avril;

Alors gave ta peine d’une rose matinale,

Ou de l’arc-en-ciel entre vague et rivage,

Ou de l’abondance des globes de pivoines ;

Ou si ta maîtresse montre une riche colère,

Emprisonne sa douce main dans la tienne, laisse-la

Se déchaîner et bois son regard sans pareil.

Sa demeure est dans la Beauté – mortelle condition ;

Et dans la Joie, dont la main esquisse à ses lèvres

Un éternel adieu ; et dans le douloureux Plaisir,

Qui se change en poison tandis que la bouche, abeille,

L’aspire : oui, au temple même de la Félicité,

La Mélancolie voilée trouve un sanctuaire souverain

Que seul sait voir celui qui peut, d’une langue vive,

Faire éclater les raisins de la Joie contre son fin palais ;

Son âme goûtera le triste pouvoir de la Déesse

Et deviendra l’un de ses trophées de nuages.

John Keats

La Belle Dame sans Merci

1

Oh ! de quoi souffres-tu malheureux,
Errant solitaire et pâle ?
Les joncs de l’étang sont flétris,
Et aucun oiseau ne chante.
2

Oh ! de quoi te plains-tu malheureux,
Si hagard et si accablé ?
Le grenier de l’écureuil est plein,
Et la moisson est rentrée.
3

Je vois un lis à ton front
Moite d’une rosée d’angoisse et de fièvre,
Et, sur ta joue, une rose mi-flétrie
Achève de mourir.

4

Je vis une Dame par la prairie,
Elle était belle — une fille des fées,
Ses cheveux étaient longs, ses pas légers,
Et ses yeux étaient fous.
5

Je la mis sur mon coursier paisible,
Et ne vis qu’elle tout le long du jour,
Car elle se penchait sans cesse de côté, et disait
Un refrain enchanté.
6

Je tressai une couronne pour ses cheveux,
Et des bracelets, et une ceinture embaumée ;
Elle me regarda comme si elle m’aimait,
Et fit entendre une très douce plainte.

7

Elle me découvrit des racines savoureuses
Et du miel sauvage, et de la rosée de manne,
Et sûrement son étrange langage
Disait : « Je t’aime fidèlement. »
8

Elle m’amena dans sa grotte féerique,
Et là me regarda en soupirant,
Et là je baisai ses yeux fous et tristes,
Jusqu’au sommeil.

9

Et là nous sommeillâmes sur les mousses,
Et là je rêvai. — Oh ! malheur à moi,
Le dernier rêve que je rêvai
Sur le flanc de la froide colline.

10

Je vis des rois pâles, et des princes pâles,
Des guerriers pâles, tous pâles comme la mort ;
— Ils me criaient : « La Belle Dame sans merci
T’a pris dans ses rets. »
11

Je vis dans l’ombre leurs lèvres décharnées
Ouvertes dans un affreux avertissement ;
Je m’éveillai et me trouvai ici
Sur le flanc de la froide colline.
12

Et c’est pourquoi je languis ici
Errant solitaire et pâle,
Bien que les joncs de l’étang soient flétris
Et qu’aucun oiseau ne chante.

 

John Keats

Les anges sombres…

Les anges sombres avec des flammes bleues
comme des fleurs de feu dans leurs cheveux noirs
connaissent la réponse à d’étranges questions blasphématoires –
et peut-être savent-ils où va la passerelle
des gouffres de la nuit à la lumière du jour –
et peut-être savent-ils tout havre d’unité –
et peut-être y a-t-il dans la maison du père
une claire demeure qui porte leur nom.

Karin Boye