Le pays qui n’est pas

Je languis après le pays qui n’est pas
car tout ce qui est, je suis lasse de le vouloir.
En runes d’argent, la lune
me parle du pays qui n’est pas,
le pays où chacun de nos souhaits
se trouve miraculeusement exaucé,
le pays où tombent nos chaînes,
le pays où nous venons, dans la rosée de la lune,
rafraîchir notre front meurtri.
Ma vie fut une brûlante illusion.
Mais il est une chose que j’ai découverte,
une chose que j’ai vraiment conquise–

le chemin du pays qui n’est pas.
Dans le pays qui n’est pas, mon amour
se promène ceint d’une couronne étincelante
Qui est mon amour ? Noire est la nuit
et les étoiles en réponse frémissent.
Qui est mon amour ? Quel est son nom ?
La voûte du ciel s’élève de plus en plus haute
et dans l’infini des brumes,
ignorant la réponse, un enfant se noie.
Mais l’enfant de l’homme n’est que certitude,
plus haut que les cieux, il élève les bras.
Vient alors une réponse : Je suis
celui que tu aimes et toujours aimeras.

Édith Södergran

Emportez-moi

Emportez-moi dans une caravelle,

Dans une vieille et douce caravelle,

Dans l’étrave, ou si l’on veut dans l’écume,

Et perdez-moi, au loin, au loin.
 

Dans l’attelage d’un autre âge.

Dans le velours trompeur de la neige.

Dans l’haleine de quelques chiens réunis.

Dans la troupe exténuée de feuilles mortes.
 

Emportez-moi sans me briser, dans les baisers,

Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent,

Sur les tapis des paumes et leur sourire,

Dans les corridors des os longs et des articulations.
 

Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.

Henri Michaux

A mon père

Si tu revenais ce soir à mon côté

le long de la rue où l’ombre descend

bleue déjà comme si c’était le printemps,

pour te dire combien le monde est sombre et comment

sous nos rêves en liberté il s’illuminerait

d’espoirs, de pauvres, de ciel,

je trouverais des larmes d’enfant

et de grands yeux de sourire, noirs

noirs comme les hirondelles de mer.

Il suffirait que tu sois vivant,

un homme vivant avec ton cœur est un rêve.

Aujourd’hui est une ombre pour la terre le souvenir

de ta voix qui disait à tes enfants :

« Comme la nuit est belle et comme elle est bonne

de nous aimer ainsi, l’air en crue

jusqu’au cœur du sommeil. » Tu voyais le monde

à la pleine lune tendre vers le ciel,

les hommes en marche vers l’aube.

Alfonso Gatto