Je n’ai su qu’hésiter…

Je n’ai su qu’hésiter ; il fallait accourir ;

Il fallait appeler ; je n’ai su que me taire.

J’ai suivi trop longtemps mon chemin solitaire ;

Je n’avais pas prévu que vous alliez mourir.

Je n’avais pas prévu que je verrais tarir

La source où l’on se lave et l’on se désaltère ;

Je n’avais pas compris qu’il existe sur terre

Des fruits amers et doux que la mort doit mûrir.

L’amour n’est plus qu’un nom ; l’être n’est plus qu’un nombre ;

Sur la route au soleil j’avais cherché votre ombre ;

Je heurte mes regrets aux angles d’un tombeau.

La mort moins hésitante a mieux su vous atteindre.

Si vous pensez à nous votre cœur doit nous plaindre.

Et l’on se croit aveugle à la mort d’un flambeau.

Marguerite YOURCENAR.