Mon cœur s’ouvre à ta voix

 

Mon cœur s’ouvre à ta voix,
Comme s’ouvrent les fleurs
Aux baisers de l’aurore !
Mais, ô mon bien-aimé,
Pour mieux sécher mes pleurs,
Que ta voix parle encore !
Dis-moi qu’à Dalila
Tu reviens pour jamais,
Redis à ma tendresse
Les serments d’autrefois,
Ces serments que j’aimais !
Ah! réponds à ma tendresse !
Verse-moi, verse-moi l’ivresse !

Ainsi qu’on voit des blés
Les épis onduler
Sous la brise légère,
Ainsi frémit mon cœur,
Prêt à se consoler,
À ta voix qui m’est chère !
La flèche est moins rapide
À porter le trépas,
Que ne l’est ton amante
À voler dans tes bras !
Ah ! réponds à ma tendresse !
Verse-moi, verse-moi l’ivresse !

Les jasmins

Ah ! ces jasmins ! ces blancs jasmins !
Je crois encore me souvenir du premier jour où j’emplis mes bras de ces jasmins blancs !
J’ai aimé la lumière du soleil, le ciel et la terre verte.
J’ai entendu le murmure argentin de la rivière dans l’obscurité de minuit.
L’automne et les couchers de soleil sont venus à ma rencontre au tournant d’un chemin,
dans la solitude, comme une fiancée qui lève son voile pour accueillir son bien-aimé.
Cependant, ma mémoire reste parfumée de ces premiers jasmins blancs que j’ai tenus dans
mes mains d’enfant.

Rabindrah Tagore

Les yeux noirs

 

Les Yeux noirs (Очи чёрные, Otchi tchornye)
Des yeux noirs, des yeux pleins de passion !
Des yeux ravageurs et sublimes !
Comme je vous aime, comme j’ai peur de vous !
Je sais, je vous ai vus, pas au bon moment !
Oh, non sans raison vous êtes plus sombres que les ténèbres !
Je vois de la peine en vous pour mon âme,
Je vois une flamme victorieuse en vous
De laquelle brûle mon pauvre cœur.
Mais non je ne suis pas triste, il n’y a pas de chagrin
Mon destin me réconforte.
Le meilleur que Dieu nous a donné dans la vie,
Je l’ai sacrifié pour ces yeux de feu !

Yevhen Hrebinka

Questions

 

 Près de la mer, près de la mer déserte, nocturne,

Un jeune homme est debout,

La poitrine débordant de chagrin, l’esprit plein de doute ;

il interroge les flots avec ses lèvres assombries :

« Oh ! expliquez-moi l’énigme,

L’antique et douloureuse énigme,

Sur laquelle tant de têtes se sont penchées:

Têtes à calottes de hiéroglyphes,

Têtes en turban et barrettes noires,

Têtes coiffées de perruques et mille autres

Pauvres fronts humains baignés de sueur.

Dites-moi, la vie humaine a-t-elle un sens ?

D’où vient l’homme? Où va-t-il ?

Qui habite là-haut dans les étoiles d’or ? »

 

Les flots murmurent leur éternel murmure,

Le vent souffle, et les nuages s’enfuient,

Les étoiles scintillent, indifférentes et froides,

Et un fou attend une réponse.

Henrich Heine

 

Je vais te raconter…

Je vais te raconter — la plus grande duperie :
Je vais te raconter le brouillard qui saisit
Les jeunes arbres, les vieilles souches.
Je vais te raconter la clarté qui se couche
Dans les basses maisons, et aussi la tzigane
— Né d’Égyptes lointaines — qui sur sa flûte s’acharne.

Je vais te raconter — le plus grand des mensonges :
Je vais te raconter le couteau que l’on plonge,
Serré dans le poing, — le vent des temps qui s’empare
Des boucles des jeunes — et de la barbe des vieillards.

Vacarme des siècles.
Sabots claquant sec.

Marina Tsvetaïeva

Per te lasciai la luce

Extract from the young G.F. Handel’s Italian Cantata
« Delirio Amoroso » (1707), HWV 99

Per te lasciai la luce,
ed or che mi conduce
amor per rivederti,
tu vuoi partir da me.
Deh! ferma i passi incerti,
o pur se vuoi fuggir, dimmi, perché?
************
For you I left the light,
and now that love leads me
to see you once more,
you wish to run from me.
Ah, stay your wavering steps,
or if you would still shun me, tell me why?

A Philis

Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage,
Et la mer est amère, et l’amour est amer,
L’on s’abîme en l’amour aussi bien qu’en la mer,
Car la mer et l’amour ne sont point sans orage.

Celui qui craint les eaux qu’il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu’on souffre pour aimer,
Qu’il ne se laisse pas à l’amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.

La mère de l’amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l’amour, sa mère sort de l’eau,
Mais l’eau contre ce feu ne peut fournir des armes.

Si l’eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j’eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.

Marbeuf

Je pense à toi (Ich denke dein)

Je pense à toi lorsque, dans la pluie de pétales,
Le printemps se fait peintre,
Et que rayonnent en doux épis mûris
Les dons de l’été prodigue.

Je pense à toi, lorsque la mer du monde se soulève
A grand bruit et monte vers le ciel,
Et que la rive recule en gémissant tremblante,
Devant la fureur des flots.

Je pense à toi lorsque le soir rougissant
Se perd dans les bois,
Et qu’à douce voix de flûte la plaintive Philomèle
Émeut mon âme;

Au faible halo de ma lampe, au milieu de peines amères,
J’ai pensé à toi ;
Mon âme anxieuse suppliait au bord du départir :
« Souviens toi de moi ! »

Je penserai à toi jusqu’au jour où les cyprès ondoyants
Entoureront ma tombe.
Et qu’aux bois de Tempé même, inoublié
Ton nom fleurisse.

Sophie Christiane Friederike Brun